Mot et image

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Les plumes rédigent en séance un court récit inspiré par deux éléments tirés au sort, à savoir une oeuvre (peinture ou photographie) et un mot ou une expression.

L'errance

Expression : "Brève de comptoir"
Photographie : Sabine Delcour, ensemble Bas Reliefs, 2014

Dans un paysage de roches blanches coule une source. Pas une âme à l'horizon, ni un arbre. Le minéral donne le ton à une symphonie de crevasses, d'érosion en chevrons, d'éboulements torturés et de roches percées.

"Cheminées de fée ","roches aux fées", ces expressions chantent dans ma tête alors que je chemine difficilement sur les versants en pente de ce monde passé, érodé, tranché, creusé où l'homme n'a pas sa place. Le futur semble aussi stérile que le grain de sable qui se détache et roule dans les gorges ouvertes par le passage du temps.

Je me laisserais bien tomber moi aussi dans ces trous, ces chaudrons de sorcières ou gouffres aux géants. Les légendes galopent et scandent la marche. Le chevalier errant qui s'est perdu en pourchassant le dragon se dresse devant moi pétrifié dans la roche. Le regard de sa belle fixe l'horizon dans une longue attente. Elle est là blottie le long d'un torse déchiqueté dont il manque les mains. Ma raison s'égare, le chant des trompes d'assaut vrille mes oreilles, le combat des titans éclate, je m'effondre, je me suis perdu.

Un ronflement me réveille. La tête sur le zinc, je patauge dans la mare de café noir qui imbibe mes cheveux. La photo du désert de roches se détache du journal et me tatoue la joue.

" Tête de chevalier de bistrot " me dit la serveuse en riant, ça fera une bonne brève de comptoir.

Joëlle.

Les évadés
 
Mot : "Evadés"
Peinture :
René Marius Tastet, Rue Ducru, 1930. D'autres oeuvres peuvent être consultées ici à l'occasion de l'exposition organisée par la Galerie Guyenne Art Gascogne à Bordeaux.
 
Comme tous les jours, elle a repris sa place rue de Ménilmontant. Adossée au mur triste, elle fixe le ruisselet où s’écoule une eau saumâtre…
 
Elle avait quatre ou cinq ans peut-être, sa mère dès le matin l’envoyait jouer dans la rue avec les autres gamins du quartier. « Va jouer, lui disait-elle, j’ai affaire. Tu rentreras quand je te le dirai. » Alors Simone descendait dans la rue avec les autres gosses. On fabriquait de petits bateaux, simples bouts de bois qui naviguaient dans le ruisseau jusqu’au bas de la rue. Il ne fallait pas rentrer avant que sa mère ne sorte du meublé où elles vivaient toutes les deux. Toute la journée, Simone guettait l’ouverture de la porte derrière laquelle grimpait un escalier raide et branlant qui conduisait au meublé.
 
Des hommes entraient et sortaient, revissant leurs casquettes sur des crânes parfois dégarnis. Un jour, Simone comprit le sens de ce va-et-vient. C’était dans la cour de l’école, les autres petites filles vêtues de beaux tabliers l’avaient entourée, elle, qui ne portait qu’un pauvre tablier gris plusieurs fois rapiécé. « Ta mère, elle fait la pute, c’est mon grand-frère qui l’a dit. » « Même pas vrai, a répondu Simone, ma mère elle est couturière, même que les clients viennent à la maison et qu’elle leur fait des costumes. »
 
Elle aurait bien voulu y croire à cette histoire, mais elle savait bien que les autres gamines avaient raison.
 
De cette misère-là on ne s’évade guère.
 
Simone, tous les matins, reprend sa place au coin de la rue. Elle a un « protecteur », un ancien client de sa mère qui l’a trouvée jolie, et plus jeune, bonne à « faire le métier ».
 
Ce matin-là, encore, elle a vu s’approcher le même jeune homme, un ouvrier imprimeur qui est plus gentil que les autres hommes. Il vient une fois par mois. Depuis, elle rêve à une autre vie : un foyer, des enfants, un vrai mari qui ne lui ferait pas de mal. Ils s’évaderaient ensemble vers une vie libre. Ils s’évaderaient...
 
Annie.

La balançoire enchantée

Expression : dépasser les montagnes
Image proposée par Minibulle

Quel panorama magnifique ! Entre mer, ciel et montagne ! On ne peut pas rêver mieux.

Quand elle s’approcha de la balançoire et qu’elle leva les yeux, elle ne vit que les deux cordes qui grimpaient vers le ciel. Mais à quoi étaient-elles accrochées, mystère ! Comme dans le conte de « Jack et le haricot magique » pensa-t-elle !

Oserait-elle ?

Elle s’approcha de la balançoire, toucha la planche qui, à sa grande surprise, se mit à sa hauteur. Elle s’y assit, serra les mains de chaque côté de la corde. Son cœur se mit à battre plus vite quand doucement la balançoire, sans qu’elle ait fait un mouvement, se mit à aller d’avant en arrière, toute seule.
C’était magique !

Toujours plus haut, sentant le vent dans ses cheveux, elle se mit à rire aux éclats et l’écho de ses éclats de rire se répercuta sur les montagnes.
Vu d’en haut, un spectacle fabuleux s’offrait à sa vue. Le soleil qui se levait, se reflétait sur l’eau qui semblait étinceler. Toujours plus haut, elle rêvait de dépasser les montagnes en face d’elle. Qu’y avait-il derrière ?

- Ohé, tu viens ?

Elle bascula du hamac, réveillée en sursaut.
Le nez dans la pelouse, elle ne saurait jamais ce qu’il y avait derrière les montagnes.

Merci à Minibulle pour son texte et son choix personnel d'image envoyés via notre formulaire de contact.

Publié dans a pied d'oeuvre

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