Humeur

Elle s’est dressée soudain. Assise côté fenêtre, elle a vivement enjambé sa voisine en s’écriant:  "Putain de merde, quelle conne !" et elle s’est précipitée vers les portes de la rame qui s’ouvraient sur la station Houilles-Carrières/Seine de la ligne A du RER.


La voix synthétique avait annoncé pour la deuxième fois : Houilles-Carrières/Seine… Houilles-Carrières/Seine…

Dans la torpeur crépusculaire et lasse, les voyageurs ont été mollement saisis par ces mots fermement articulés par la jeune femme. Quelques regards se sont croisés d’une banquette à l’autre…

Elle a raté sa station ? Elle a perdu son Pass Navigo ? Elle a oublié son petit-dernier à la crèche près de son travail ? La crèche va fermer, on va déposer le nourrisson au Commissariat.

Elle a oublié l’aînée dont le spectacle de danse de fin d’année a déjà commencé ? La petite fille désespérée guète en vain le visage attendri de sa mère dans la foule de visages parentaux fiers et enamourés. La petite va manquer son solo, rester plantée sur la scène, les yeux pleins de larmes. Sa mère n’est pas venue, elle a peut-être eu un accident, elle est morte… ou elle ne l’aime plus, elle préfère son petit-frère. Elle va porter cette douleur et ce premier échec artistique toute sa vie.

Quinze années de psychanalyse assurés. Putain de merde, quelle conne !!!

Annie.