A pied d'oeuvre >>> Jeune fille debout à la fenêtre de Salvator Dali

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A pied d'oeuvre >>> Jeune fille debout à la fenêtre de Salvator Dali
Salvator Dali (1904-1989) : Jeune fille debout à la fenêtre (1925) - Huile sur toile – 108 x 77
Œuvre disponible au Musée Reina Sofia, à Madrid.



J’aime être là, à ma fenêtre, et regarder au loin le port, imaginer vers quelle destination je pourrais aller, vers quels horizons nouveaux.

Je suis une jeune femme, brune, plutôt plaisante et Antonio, hier, m’a déclaré sa flamme.

Antonio a le sourire étrange des hommes du Sud. Quand il me regarde, il me pénètre de ses yeux pâles et lumineux. Je me sens sienne.

Aujourd’hui il est parti avec les gars du village reconstruire la baraque en bois de Mamita. Mamita est notre doyenne ; elle flirte avec ses quatre-vingt-seize ans et nous souhaitons tous, notre bande, qu’elle arrive sans encombre au treize juillet date de son anniversaire.

Je suis une rêveuse. Je peux écouter une conversation et soudain une idée puis une autre viennent en bousculer le fil. Alors je me tais et écoute ma tête égrener quelques pensées absurdes. Au milieu de la vaisselle, je pose mon assiette, arrête l’eau du robinet et vient à la fenêtre aux rideaux bleus, celle que je préfère, et j’oublie tout.

Antonio aime cela chez moi. Cette capacité à m’absenter, à tout lâcher pour venir rêver à la fenêtre bleue. Le torchon, devenu inutile, est posé sur le rebord.

Je crois qu’Antonio ferait un bon mari, rassurant et calme, jamais un mot plus haut que l’autre. Ses mains caressantes, sensuelles et habiles sont l’outil premier de son métier, sa passion devrais-je dire. Il est ébéniste et ses meubles sont de véritables œuvres d’art. Il adore passer des heures dans sa remise à travailler le chêne, le hêtre, l’ébène même parfois. A ses heures perdues, il sculpte ; des visages de femmes surtout.

Et toujours prêt à rendre service. Comme pour la baraque de Mamita. Mamita l’adore et ne rêve que d’une chose : être invitée à notre mariage puis très vite au baptême du petit. Forcément un petit. Dans le Sud, tradition oblige, on préfère les garçons.

Les femmes sont les compagnes fidèles des hommes et se doivent d’être un peu leur servante.

Mamita m’a confiée l’autre jour : « tu sais, ma petite, les temps ont bien changé. A mon époque, les femmes servaient aux hommes leur repas, débarrassaient et ensuite pouvaient s’attabler, et en silence encore, pour ne pas déranger ces messieurs qui conversaient ».

Oui les temps ont changé, un peu, mais si peu !

Je rêve d’un pays où les femmes seraient plus libres, pourraient avoir un salaire, être indépendantes réellement mais, on me le répète assez, je suis une rêveuse.

Alors je vais reprendre mon torchon, continuer à nettoyer la vaisselle, à entretenir ma maison et dire oui, demain, à Antonio : « Oui Antonio je veux être ta femme » et sans doute j’aurai un bébé, un tout petit que je chérirai, qui sera beau et doux et sentira le lait. Et d’autres suivront, et je me contenterai de ce bonheur simple pour être heureuse.

Isabelle.

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Elle a déposé son foulard sur le rebord de la fenêtre puis défait ses cheveux, profitant de l'air tiède en cette fin d'après-midi estivale.

Le fleuve s'écoule impassible et berce dans son lit de frêles voiliers qui glissent sur son drap bleu. Le courant lent et inexorable trouve résonnance dans l'esprit de la jeune fille. L'attente a laissé place à l'ennui qui à son tour s'incline devant la mélancolie.

La maison désormais vide et silencieuse a laissé s'échapper les rires avec sa meilleure amie Camilla et s'envoler les tendres moments avec son voisin Diego.

Il lui faut quitter cette demeure qu'elle chérissait tant, suivre sa famille dont son ambassadeur de père vers sa lointaine mission. Une larme glisse, modeste rivière d'enfance qui nourrit le fleuve du temps.

Sylvain.

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I
J'adore la façon dont tu as romancé cette œuvre. J'aime beaucoup Dali. Ton histoire nous emporte et donne envie de lire le roman tout entier... Bravo Isabelle.
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N
Bravo Isabelle et Sylvain, vous écrivez si bien, c'est poétique. Je ne savais pas que les femmes sont les compagnes fidèles des hommes et en plus se doivent d'être un peu leurs servantes !!! Je n'adhère absolument pas !!!<br /> Je ne perds pas espoir de vous revoir bientôt... Nicky
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