Limpide obscure

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Nocturnes © Christian GANET - Biennale de la danse : Maguy Marin en clair obscur

Nocturnes © Christian GANET - Biennale de la danse : Maguy Marin en clair obscur

[Photographie associée à l'article publié sur le site Culture Box].


Elle était perdue. Son âme en souffrance se tordait de douleur après la perte de son époux, de celui qui lui avait tant donné, de celui qu’elle avait tant aimé avec passion puis tendresse. L’obscure l’habitait, le rire s’était abîmé dans un gouffre de larmes inépuisables. Son corps amaigri pleurait aussi ce défunt tant chéri.

Elle ne voyait plus le soleil, elle ne goûtait plus la saveur de la vie, le monde des vivants lui semblait inaccessible. Elle était morte avec lui.

Pourquoi lui survivre ? Pourquoi continuer à tenir debout, à se lever, à faire semblant ? Pourquoi ne pas le rejoindre dans le silence de la mort ?

Rien ne la retenait sur terre. Ses enfants, adultes maintenant, étaient partis vivre au loin dans des contrées dont elle peinait à retenir le nom. Ils étaient venus bien sûr à l’enterrement, lui avaient juré leur soutien mais leur vie, bien vite, les avait rappelés à l’ordre.

Elle était seule. Son chat lui léchait le bout des doigts dans un geste inutile de consolation qu’elle refusait, retirant sa main du contact de la langue râpeuse.

Quand elle s’obligeait à sortir pour faire quelques courses, les paroles maladroites de ses voisins ne la réconfortaient pas, au contraire. Elle les fuyait du reste, imaginant sans peine les langues qui se déliaient après son passage.

Bien sûr, elle avait des amis mais qui comprenait vraiment sa profonde détresse ?

Au fil des mois, devant son désir obstiné de ne plus voir personne, les coups de fil se firent plus rares, les invitations, refusées systématiquement, s’arrêtèrent.

Sa peine lui semblait sa meilleur compagne.

Un jour elle trouva, dans sa boite aux lettres, un petit message invitant les paroissiens à la messe de minuit. Noël approchait. En le lisant, elle se demanda si une visite à l’Église ne s’imposait pas. Elle choisit un jour de semaine où elle était sûre de croiser peu de monde, pour se rendre à la petite chapelle adjacente à l’Église, seul lieu de prières ouvert dans la journée. Il faisait froid. Elle se couvrit d’un manteau noir et d’une écharpe épaisse. La chapelle était vide. Du moins c’est ce qu’elle crut au premier regard mais elle aperçut un homme agenouillé dans un coin qui priait. Elle se dirigea vers la statue de Marie, alluma un cierge blanc après avoir mis son obole et s’assit au milieu de la première rangée de sièges. Prier, cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas fait. Son cœur ne savait plus rejoindre le silence de Dieu. Elle resta là, sans rien faire, chassant toutes pensées. Au bout de plusieurs minutes un mouvement la fit sortir de sa semi torpeur. L’homme se relevait. Elle croisa son regard. Il pleurait. Alors l’émotion vint, immense, incontrôlable et elle se mit à laisser venir le flot de sa peine. Elle sanglotait, ne pouvant plus rien contenir, terrassée par la douleur. L’homme alors s’approcha d’elle et posant ses mains sur les siennes lui murmura des paroles qu’elle ne comprit pas. Ce contact inattendu sur sa peau la réconforta. L’homme la regarda et doucement lui déposa un baiser sur la joue puis il partit. Étonnée, ses larmes cessèrent. Elle prit une grande inspiration et ses épaules semblèrent s’alléger un peu. Elle quitta à son tour les lieux pour se réfugier dans sa maison.

Toute la semaine elle prit l’habitude de se rendre à la petite chapelle et retrouver le plaisir de s’abandonner à la prière. Le cierge blanc, allumé chaque jour, était comme un ami. Elle ne revit jamais cet homme qui avait touché une parcelle de son cœur vide.

Peu à peu, elle retrouva la force de croire à un ailleurs possible. Elle alla sur la tombe de son bien aimé et lui parla comme s’il était à ses côtés, lui narrant longuement sa vie, sa solitude et lorsque son regard croisa un rouge gorge, elle comprit que son mari ne l’avait jamais quitté, qu’il vivait en elle, au plus profond, qu’il l’entourait de sa protection dans une lumière nouvelle dont elle était prête à accueillir le réconfort.

Elle retourna à la chapelle, alluma un cierge blanc, pria longuement et se sentit enfin en paix.

Isabelle.

Publié dans plume par plume

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J
C'est une histoire, je suis bien vivant
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G
Tres belle histoire tres touchante et emouvante <br /> Oui malgre la perte dun etre cher et en plys dun amour ,difficile de remonter de continuer de vivre sans letre aime.mais oui biensur que son ame est la presente a tout moment comme lesprit du createur qui nous protege ...elle doit continuer de vivre et sourire a cette amour parti trop tot mais elle le retrouvera .....<br /> Brrr jai des frissons <br /> <br /> Bravo isabelle <br /> Isa
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I
Merci beaucoup, ça me fait très plaisir... Amicalement.