A PIED D'OEUVRE >>> Le choix de l'emplacement de Nicolas Odinet

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A PIED D'OEUVRE >>> Le choix de l'emplacement de Nicolas Odinet

Nicolas Odinet : Le choix de l'emplacement (détail) - 2012.
Huile sur toile - H. 100 ; L. 81 cm.

>>> Découvrez le site web du peintre Nicolas Odinet.

Cinglé !


La voilà encore. J’ai à peine le temps de m’échapper un peu des contraintes familiales et elle surgit avant même que j’ai pu commencer quoi que ce soit. Heureusement que Philippe l’a vue avant moi, il a pu se carapater en vitesse. Même si l’horizon est dégagé sur la plage, c’est le moins qu’on puisse dire, il a détalé à toute allure. C’est parce que je l’ai vu filer d’ailleurs que j’ai eu la puce à l’oreille. Ça m’a pris un quart, un centième de seconde pour réfléchir et trouver ce qui le faisait filer comme ça. Le temps pour regarder où il allait et un autre pour tourner la tête et voir d’où venait le danger.

Elle était encore loin, mais sûr, elle m’avait déjà vu et je ne pouvais pas en faire autant. Je savais que sinon, j’aurais à le payer le soir style privé de dîner ou pire, de ciné la semaine prochaine. Alors je suis resté comme un piquet, planté à l’attendre et la voir arriver comme une furie. Mon seul réconfort c’était le vent qui soufflait autour de moi, le seul garant que j’allais tenir bon comme s’il soufflait dans ma tête pour m’empêcher d’exploser. Même le sable s’en mêlait et s’emmêlait à mes pieds, il me cinglait et comme j’y pensais je pensais aussi aux mots qu’elle allait prononcer : cinglé, cinglé, cet enfant est cinglé.

Ça n’a pas manqué. C’est le premier mot que j’ai entendu dès qu’elle est arrivée, entortillé lui aussi dans le vent : cinglé. Et tout de suite après :

- Qu’est-ce que tu fais donc ici ? Tu ne te rappelles pas qu’on est invité ce soir ?

Je n’ai pas répondu. Je sais que dans ces moments-là, ça ne sert à rien, elle continue sur sa lancée. Et sa lancée n’est pas belle à voir. Alors je préfère m’écraser, me faire tout petit et filer comme un toutou en pensant qu’un jour j’aurai ma revanche, et que je pourrai profiter du ciel bleu, et de mon copain Philippe aussi, ensemble on courra sur le sable jusqu’à être épuisés, et on rira ensemble, on se poursuivra comme des fous et elle, elle ne sera plus là.

Joëlle Thienard, invitée de l'atelier.

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Toute puissante.

 

Une mère et son enfant, face à la mer.

Elle, jeune femme de dos à la silhouette assurée, solidement campée sur des jambes musclées, la taille un peu cambrée, le chapeau sur la tête et le sac de plage sur l’épaule.

Son fils, un garçonnet au nez retroussé, coiffé d’une casquette, regarde l’eau avec appréhension. Sa mère l’incite à se tremper les pieds, mais il hésite et n’avance pas d’un pas, les coudes près du corps, en arrêt.

Viens, semble-t-elle lui dire avec autorité. Mais il ne répond ni n’obtempère, impressionné par l’immensité du large, partagé entre la fascination et la crainte de déplaire à cette mère toute puissante.

C’est la première fois qu’il vient au bord de l’océan. Sa mère a répondu à une invitation.

Danielle.

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Invitation au plaisir.

 

Par un beau jour d’été, ma mère fait irruption dans ma chambre et aussi dans ma vie virtuelle en débranchant les plombs du tableau électrique. Je tiens encore la manette de la console dans ma main, lorsque je m’entends hurler : « Tu n’as pas le droit de faire ça ! Je n’ai pas sauvegardé ! ». Mais elle est déterminée, elle me tire par le tee-shirt, me visse la casquette sur la tête et me traine jusqu’à la voiture. Le « clac » de la ceinture de sécurité sonne à mes oreilles comme un glas, c’est foutu je suis bouclé ! Je n’arrive pas à reprendre mon souffle, c’est trop d’injustice ! La colère et la douleur me submergent. Je hoquète. Le bruit du moteur envahit l’habitacle et étouffe mes sanglots. Elle rit : « Tu vas voir, on va bien s’amuser ! C’est un temps idéal pour la plage, ce ciel est une vraie invitation au farniente et au plaisir. Tu vas adorer ! »

Et me voilà, les bras ballants face à cette étendue de sable déserte. Le soleil me mord les mollets et moi je me mords les lèvres pour ne pas pleurer, je ne lui ferai pas ce plaisir-là.

Joëlle.

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Souvenir à mer.

 

Hossegor. Juillet 1978. L'été où tout a basculé. Une dune d'amertume. Un grain de sable dans la belle mécanique familiale.

Une nouvelle dispute entre mes parents. Des tensions. Des reproches. Amplifiés par l'océan de sable et d'eau.

Je sens que l'équilibre est rompu. Que l'amour a disparu. Mon père indifférent. Ma mère qui déjà lui tourne le dos. Elle s'inquiète de ma solitude. Elle feint la force, surjoue l'assurance. Dissimule à peine son anxiété. Je sens naitre et grandir en moi un sentiment d'abandon. Sans eux. Sans eux deux.

Je n'ai plus jamais revu mon père. Je ne suis plus jamais retourné à Hossegor. J'évite les plages atlantiques où les vagues et le vent ressuscitent le cortège de mon enfance.

Sylvain.

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Seul.

 

Il s'est éloigné le bateau qui emporte son père au loin, si loin de lui. Désormais le voilà seul ; mais pas tout à fait en réalité. Il reste seul avec cette femme qui ne l'aime pas, et qu'il n'aime pas non plus.

Il fixe l'horizon pour ne pas la regarder, elle. Il n'ose plus faire un geste, pas même en laissant ses bras libres le long de son corps maigre d'enfant. Ses bras il les retient ; peut-être a-t-il peur qu'elle lui prenne la main et le force à la suivre.

Ses pieds sont comme plantés, enracinés dans la douceur du sable chaud de la plage qu'il voudrait ne jamais quitter, les yeux fixés sur l'horizon de la mer qui emporte son père tant aimé.

Annie.
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Inquiétude.


En vacances depuis hier, la famille, après avoir pris possession de la location, une superbe villa avec vue sur la mer, se mit en tenue estivale pour aller à la plage, déserte à cette heure.

Le soleil, encore haut, chauffait le sable et la plante des pieds. L'enfant, prudemment vêtu d'un maillot à manches et coiffé d'une casquette à grande visière, s'interrogeait : que d'eau, que d'eau, je vais disparaître dans toute cette eau. Ça me fait un peu peur.

- Dis Maman, tu crois que je peux y aller ? Tu vas me perdre de vue dans cet océan.

- Mais non, je resterai assise sur le sable à te surveiller. Si tu es raisonnable, tu ne cours pas de danger, et ça te fera du bien.

- Oui mais, je crois bien que je préférerais être sur un petit bateau, ça mouille moins. Ou même, jouer au sable avec des copains, ça, ça me plairait. Mais, où sont passés les gens ? On n'est quand même pas tout seuls ici ? Il y a bien d'autres enfants en vacances ?

- Arrête de t'inquiéter, on verra demain. Si tu veux on va faire des courses en ville, tu t'apercevras bien qu'il y a plein d'enfants ici. Et puis, ça va, tu m'énerves avec tes questions et tes si. Si tu continues tu vas l'avoir, ta baffe !

Monique.

 

Publié dans a pied d'oeuvre

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J
Comme quoi une même image, une même situation peut déclencher des pensées si différentes !! Une pensée particulière au texte de Joëlle, cela aurait pu être à la maison !
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