Pages tournantes >>> Dans un village, près d’Epinal, vit une vieille dame

D'après Pascale Roze, "Histoires dérangées".

Le changement de couleur traduit le changement de plume.

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Dans un village, près d’Epinal, vit une vieille dame qui passe sa journée à découper des images, pas celles d’Epinal, non, des images pornographiques. Mon Dieu, me direz-vous, mais c’est impossible ! Et bien si, je vous assure, elle en a plusieurs albums. C’est son mari, aujourd’hui décédé qui avait commencé les premiers albums remplis de pin-up déshabillées. Ils s’en amusaient ensemble.

Aujourd’hui, les pin-up, elle en est lassée. Elle aimerait bien maintenant admirer de beaux costauds musclés et virils. Mais voilà que le dernier cliché est tout barbouillé de rouge et déchiré par endroit. Face au crime de lèse-majesté, la vieille Elisabeth crache ses dents dans un hoquet, allume sa pipe après l’avoir bourrée de tabac et de cannabis et va chercher dans les rayonnages de sa bibliothèque, bien dissimulées derrière Proust, Balzac et Houellebecq, quelques cassettes classées X. D’un pas légèrement chaloupé, dans les vapeurs délicieuses et tenaces du cannabis, elle s’écroule avec plaisir dans son moelleux fauteuil Voltaire pour regarder son film préféré : « Trois pétasses chez les bidasses ». C’est bon la vie à Epinal !

Souvenirs

Dans un village, près d’Epinal, vit une vieille dame. Elle ne regarde pas la télé. Elle caresse son chat, lové sur ses genoux, pensivement. Elle songe encore à la dernière guerre au cours de laquelle ses deux fils sont morts. Mais voilà que cela fait maintenant soixante-dix ans qu’ils sont partis, pourtant pour elle c’était hier.

Parfois, elle quitte son chat et son fauteuil pour tirer de sous le lit une boîte au trésor. Une douce odeur de vanille sort d’une pochette pliée en quatre d’où tombe une photo d’homme, à la moustache conquérante. C’est la photo d’Edgar, l’auteur des célèbres images d’Epinal, pas celles que les écoliers découvrent comme cadeau à Noël, non ces images là sont… comment dire…. D’une beauté à couper le souffle. Elles représentent des femmes nues, aux formes généreuses, des seins bien ronds, des hanches bien pleines, une manière de pencher la tête en arrière, l’œil coquin.

Et la petite vieille sourit parce qu’elle fut le modèle préféré d’Edgar. c’est vrai, c’était il y a bien longtemps et son corps a bien changé, mais ce n’est pas très grave ; dans son cœur la vieille dame est encore une belle jeune femme, amoureuse du photographe dont elle a eu ses fils qu’elle partira rejoindre bientôt au ciel.